
Je partage ici quelques réflexions personnelles issues de mon journal de bord sur cette création. Été 2018 J’ai posé un récipient rempli d’eau noire sous lequel est accroché un hautparleur. Au-dessus, à 30 cm, je positionne un écran à travers lequel je diffuse en boucle une captation d’eau en mouvement.
Cette image se reflète dans l’eau noire, lorsque je me penche j’aperçois ma silhouette et les traits de mon visage. Ceux-ci sont parfois dérangés par les ondes évolutives de cette eau noire.
Dans le hautparleur se diffuse une musique créée pour rythmer et faire vibrer l’eau. Suivant les fréquences émises à pleine perceptibles par l’oreille, l’eau noire gicle en dehors du récipient, je dois partir.
Je pose une feuille dessous et après une nuit d’attente, je découvre une constellation de taches. Elles font sens, pas assez encore, mais suffisamment pour continuer l’expérimentation et la réflexion.
- J’expérimente des œuvres où je me dégage le plus possible du geste créateur qui me dérange profondément. D’un point de vue étymologique le seul créateur qui soit c’est Dieu.
Or, je ne suis, nous ne sommes pas Dieu qu’on adhère à un dieu ou non. Je me bats depuis quelques années contre la figure du créateur tout puissant et doute de l’intention, du geste de l’artiste, de la pensée volontariste. Bien que mon expression est relativement classique à travers les procédés d’installations, les peintures, que je réalise, je ne les assume que lorsqu’elle est sont pensées, conceptualisées et c’est là que pour moi se situe l’œuvre.
Je suis à la recherche d’un lâcher-prise sur le faire qui entre en tension avec des dispositifs préparés en amont. Il faut préparer son support, son cadre. Structurer et laisser venir.
Janvier 2020
Je démonte la dernière installation à Sallanches. Elle comprend une étendue de 250cm par 90 cm d’eau noire. Cette eau agissait en miroir noir et reflétait un tableau de 250/80cm, il s’agit d’un hommage à Ange Abrate (mon arrière-grand-père) peintre de montagne.
Il me reste deux jours, je ne veux pas gaspiller l’eau qui a accumulé les traces des visites durant deux mois. Je débute mon travail sur les encres flottantes et réalise une installation flash comprenant une vingtaine d’encres et deux grands formats à l’échelle 1.
Mars-Avril 2020
Durant le confinement, je ne peux travailler qu’à domicile, je réalise une quarantaine d’encres flottantes et monotypes en hommage aux oubliés (morts en mer, personnes âgées, nécessiteux ...). Ma baignoire, lieu de l’intime, devient ma source de travail et de réflexion.
Juin
Je lis en ce moment les échanges entre Ghislaine Rios et Clément Borderie « les Bosons de l’art » qui évoquent le cheminement de l’artiste à travers la question du laisser-faire. Je remercie Michel Braun de m’avoir fait découvrir son travail. Juillet
Je relis le mythe de Narcisse, G.Bachelard « l’eau et les rêves », et surtout le « Je une traversée des identités » de Clotilde Leguil. Je m’aperçois que je suis en transition de la poésie de l’air réifiée par les œuvres (murmures, chant des sensibles, bruissements) vers l’imaginaire de l’eau, presque originelle dans mon parcours.
18 juillet
Performance inaugurale aux haras d’Annecy pour Imagespassages - Je souhaite conduire un essai artistique comme le ferait un laborantin du sensible, sur la poésie de l’eau comme matière préalable à l’existence.
Car c’est bien l’enjeu de l’individu et de l’œuvre d’exister, se montrer à la vie. Pour cela, il faut sortir, faire un pas de côté dans l’ailleurs, dans la faille. Explorer la faille narcissique, l’approche est également esthétique - bien sûr-. Paradoxalement, dans un monde globalisé où l’individualisme règne l’être dans son caractère indivisible et unique tend à se dissoudre. Nous assistons un moi-je gelé, où la norme est portée par une moyenne des silhouettes narcissiques crées par les communications digitales ou statistiques.
Aout
J’entends par cette installation porter un espace d’en dehors où se regardent des miroirs de l’existence. Il s’agit d’œuvrer dans le reflet, le flux, la projection et de partager un terrain exploratoire et poétique au visiteur.
Ce terrain est temporel, un pas de côté, c’est un pas de danse un pas en mouvement. Une bifurcation qui ne serait pas imposée, mais suscitée, c’est une invitation cordiale à la volupté.
n’est pas commun. Cette évolution est majeure dans mes écritures précédentes - j’entends par écriture ce qui préfigure la réalisation générale de l’œuvre.
Et le temps, l’espace sont des immatériaux à composer, à écrire. Finalement, Narcisse ne peut être qu’une œuvre écrite, composée, assemblée de cellules d’éléments irréductibles autonomes et complémentaires, mais pas dans leurs complétudes. Cellules se complètent par incohérence dans leurs capacités à se mettre en regard par le vide, par ce qui n’est pas commun.
Cette évolution est majeure dans mes écritures précédentes -j’entends par écriture ce qui préfigure la réalisation générale de l’œuvre- ; En effet, je cherchais dans mes installations murmures, chant des sensibles, Solitudes à croiser ou compléter les éléments disciplinaires, j’étais encore dans une recherche d’harmonie que le visiteur pouvait assembler désassembler.
Je crois avoir dépassé cette étape nécessaire pour à présent éclater ma recherche sur les langages plastiques, sonores, visuels, relationnels lentement assimilés pour les apposer, comme on appose des miroirs dans l’espace de l’intime.
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